Pas facile pour un jeune réalisateur de se coltiner à de grands thèmes métaphysiques de nos jours. La cinéma a érigé des bouleversants monuments au nom de l’infini : un monolithe noir et parfait, une planète-mer vivante et curieuse, une galaxie agonisant d’un cancer cosmique. Plus récemment, la naissance et la mort de l’univers rejoignant en grandiloquence celle d’un garçon. C’est devant (et derrière) ces grandes réalisations que le cinéaste-philosophe devra invariablement se prosterner avant de se lancer dans la contemplation. Une poignée de films qui transcendent l’idée même du cinéma et qui le détermineront à jamais
Les habitués de notre émission et de ce blogue l’auront remarqué, nous sommes férus de films métaphysiques et d’occultisme. Pour moi, il n’y a pas de film plus complet et crucial que 2001:a space odyssey. Il est sacré. Il est inévitable qu’il soit cité, parfois comme une simple référence, d’autres fois comme un évangile qu’on psalmodie (Pour ceux qui partage cette avis, nous vous invitons à écouter notre émission Voyage au bout de l’Enfer –2001:A SPACE ODYSSEY analysé via le livre d’Howard Bloom, THE LUCIFER PRINCIPLE.). Même The Fountain, pour toutes ses inégalités et ses détracteurs, est selon moi un film important.
Le cinéma de science-fiction métaphysique a t-il encore quelque chose à dire? Peut-il offrir une nouvelle approche au delà de la référence et plus encore, avec un budget modeste? Je n’en suis pas certain. Il faut avoir énormément de courage pour explorer dans une petite nacelle ce que d’autres ont frayé avec une monstrueuse embarcation.
Un futur proche. Un astronaute en mission spéciale passe des jours répétitifs dans une station spatiale. Entrainé à supporter la solitude, c’est néanmoins une autre paire de manche qui l’attend lorsqu’on lui fait savoir qu’il devra y rester pour un temps indéterminé. Dans sa descente inexorable vers la folie, il trouve dans la station un journal personnel datant de la Guerre de Sécession. Quelque chose s’est passé là bas qui a changé le cours de l’humanité et qui explique probablement qu’on l’ai abandonné.
Entre les tableaux de combat de la guerre de Sécession, hautement iconographiques, et les scènes d’immobilité du capitaine dans sa station, le mystère s’ouvre peu à peu. C’est la succession de tableaux d’une saisissante beauté, doublée de l’amplitude de la trame sonore d’Angels & Airwaves qui prend le dessus sur la narration. Mentionnons que le film se voulait initialement une succession de vidéo clips. Kubrick l’a déjà dit: il faut voir ce type de film comme des expériences sensorielles et non verbales, sans chercher à comprendre.
Malheureusement, n’est pas un pur métaphycisien qui veut…
Malheureusement, n’est pas un pur métaphycisien qui veut…
LOVE de William Eubank ne pouvait pas échapper aux comparaisons. Il sera aussi accusé d’être une œuvre composite. Il souffrira même (le réalisateur en est hautement de conscient) de l’inévitable association à MOON de Duncan Jones. Les similarités entre les deux sont beaucoup trop nombreuses: l’isolement d’un astronaute dans sa navette, la mission qui s’éternise, la folie qui s’installe et les longs regards lancés vers la terre pendant que la barbe pousse. Les thèmes empruntés à la musique également; si Duncan Jones semble avoir voulu illustrer une chanson de son père David Bowie, la présence à la trame sonore de Angels & Airwaves (qui assure aussi la production) vient tapisser le film de thèmes qui sont chers au groupe. Le film ne cache d’ailleurs pas ses références…il les étend généreusement comme Lady Gaga met le map-o-spread de Madonna sur ses toasts au Wonderbread.
Mais ce n’est pas là que Love surprend.
C’est un film métaphysique…ouvrier. Regardez l’affiche plus haut: l’image de l’astronaute qui semble attendre l’autobus pour aller bosser est assez chargée de sens.
On s’explique
Durant la séance de questions suivant le film, un spectateur a posé une colle hautement pertinente sur les nombreux sous-textes Franc-Maçons qui traversent le film. La question a été vite évincée par l’équipe de créateurs, peu chaud à l’idée de le réduire film à une série de symboles. Dommacar LOVE est absolument gavé d’imageries franc-maconiques: une structure spatiale qui ressemble à un building new-yorkais, des images de pères fondateurs au combat, des artefacts anachroniques rappelant un hôtel américain, des vieux secrets de l’histoire cachés par les autorités. Les architectes de ce monde connaissent le secret. Point de fallacieuses élucubrations conspirationnistes ici: si les symboles et les propos ont échappé aux créateurs, ils sont là et en bloc.
Ce qui n’est pas sans pertinence. Le film a été réalisé avec des moyens dérisoires, beaucoup d’inventivité et l’huile de bras de bricoleur de l’équipe. Il porte bien son titre, car il est véritablement un Labor of love, fait avec patience par des bâtisseurs. Le personnage principal est lui même un homme à tout faire, un ouvrier doublé d’un soldat et le dépositaire des secrets du monde. Un batisseur. La métaphore, qu’elle soit inconsciente ou non, est omniprésente.
Love gagnera beaucoup à être vu avec son matériel supplémentaire, où le spectateur pourra comprendre l’inventivité mis en jeu pour réaliser un film de ce type avec un budget dérisoire. Or, ce matériel supplémentaire ne fera que renchérir et confirmer les thèmes franc-maçoniques en montrant des ouvriers qui œuvrent par des moyens physiques et terre à terre à percer les secrets du monde, en toute insouciance.
En ce sens, LOVE est non seulement un film où la figure du père ouvrier est omniprésente, il est aussi une oeuvre métaphysique matérialiste où les mystères de l’univers se démontent avec une clé à molette et beaucoup de patience.
-FRANCIS OUELLETTE