C’était une très bonne idée et un bon coup de la part des organisateurs de Fantasia de débuter le festival avec Red state, la première incursion de Kevin Smith dans le film de genre. Après tout, qui de mieux que le pape de l’intelligentsia geek pour partir le bal du quinzième, d’emblée avec un film d’horreur? Le tout prend des airs de consécration non? Tarantino, Scott Pilgrim…et maintenant Kevin Smith. Une suite logique, ce me semble.
J’ai on ne peut plus hâte de lire les critiques nombreuses et inévitables qui vont suivre…parce que pendant que tout le monde se préparait à recevoir le brûlot de Smith en pleine tronche, on se gelait l’âme dans l’enfer blanc de la salle d’en face juste pour vous…et il ne nous viendrait pas à l’esprit de nous en plaindre! Certain vont à Fantasia pour le divertissement, la stimulation intellectuelle, le dépaysement, l’hystérie collective. J’y vais moi même pour toute ces raisons mais je favorise plus que tout autre un type de stimulation bien précis: je veux me faire torturer. Je veux le bouleversement, l’étourdissement. Je cherche ces films cruels dont Fantasia a le secret.
Si vous êtes comme moi, King of the devil’s island sera un passage obligé cette année. Rien comme une overdose d’injustice montrée froidement à l’écran pour nouer un estomac et vous faire serrer les poings.
Nous sommes en 1915 et il y a quelque chose de pourri au royaume de Norvège. Dans le centre correctionnel de l’île Bastoy, des jeunes hommes accusés de crimes souvent risibles vivent dans des conditions rappelant la prison ou les camps de concentrations. Abolition de l’identité, travaux forcé, rationnement, humiliation publique et punitions physiques . Tout ça pour le bien de ces jeunes sauvages, évidemment. Jusqu’à l’arrivée d’Erling, 17 ans, baleinier, accusé de meurtre. Une âme indomptable qui n’a pas l’intention de se laisser briser, peu importe ce qu’on lui fera subir.Le film de Marius Holt est un grand hymne au froid, celui de la Norvège mais aussi celui du cœur de petits hommes risibles assoiffés de contrôle. Entre la photographie bleutée (rappelant celle de Let the right one in) et les constantes exhalaisons sortant de la bouche des jeunes hommes (même lorsqu’ils dorment), il donne littéralement froid dans le dos. Quelques notes lancinantes de violons s’élèvent sporadiquement, lamentant le sort des enfants. Personne ne fait mieux la mélancolie que les scandinaves.L’autre froideur qui traverse le film, c’est celle de l’immense Stellan Skarsgard. Visiblement content de jouer ce rôle, le grand Danois a laissé tomber le pilote automatique de ces insipides tours de piste hollywoodiens et retrouve son ténébreux regard, celui qu’il avait à l’époque de Insomnia et Breaking the waves. Les jeunes comédiens, à l’instar de leur personnage, ne s’en laissent pas imposer. Le jeune Benjamin Helsatd en particulier qui transpire la révolte et possède un regard traversé d’intelligence brute.
Fonctionnant comme un The Magdalene sisters qui serait doublé d’un film de prison, King of devil’s island ne tente pas de réinventer le genre « carcéral » mais il tire parfaitement et efficacement sur ses cordes les plus tendues.
Reste que la grande valeur de ce film glacial est son invitation à la révolte. (Je n’ai pas eu envie de me battre autant pendant un film depuis Das Experiment!). Devant l’étroitesse d’esprit d’individus assoiffés de contrôle et de respect forcé, il n’y a pas de réponse plus urgentes que la désobéissance et l’insoumission…
On rappelle qu’une seconde projection aura lieu le 17 juillet à 17h20.
FRANCIS OUELLETTE