Ce sera pour ainsi dire impossible pour le 7ème des Mystérieux étonnants de parler du film de Yoshimasa Ishibashi sans exulter une généreuse dose de superlatifs (plus qu’à mon habitude, je veux dire).
Accrochez-vous d’accord?
C’est notre premier film asiatique à Fantasia cette année et déjà, il sera difficile de voir plus déjanté que ces trois fables pêchées tantôt avec le fil de de l’imagination , tantôt avec le filet de la rupture de ton et souvent avec la dynamite de l’absurdité (Underwater love, je t’attend!).
Trois histoires donc, reliées par les fruits confits du hasard et le même comédien qui joue à fond la caisse trois rôles différents.
La première, celle d’un petit garcon,Ovreneli Vreneligare (vous allez vous souvenir de ce nom répété plus de 32 fois dans le film par une narration drolatique et délicieusement irritante), qui passe des journées ennuyeuses dans un monde technicolor de contes Zeussien avec son chat au comportement irascible Verandola Gorgonzola (sorte de croisement entre Azrael et Garfield en mauvaise 3D). Au cœur de son ennui, il rencontre et tombe amoureux de la belle et élusive Milocrorze (de 28 ans son ainée et représentation fantasmée de la femme idéale). Ils vivront une histoire d’amour traversée de pureté et de yaourt. Mais les jours de peine guettent Ovrenali Vrenaligare…Dort Ovreneli Vrenaligare dort…
Ce conte a deux fonctions bien précises: poser les assises de cette histoire d’amour tricéphales et pousser au paroxysme les uppercuts que les japonais aiment parfois se donner dans les fricatives labiales. C’est un réel plaisir d’entendre à outrance des mots que la narratrice ne peut prononcer qu’avec une multiplication des syllabes. De sa propre déclaration après le film, le réalisateur avait le but délibéré de créer l’irritation chez le spectateur. Les amateurs du film SYMBOL de Hitoshi Matsumoto, découverte totale de l’année dernière, apprécierons assurément ce segment.
La deuxième histoire tourne autour de Besson Kumagai, un motivateur de génie prodiguant des conseils professionnels de séduction pour jeunes garçons en manque d’amour par le biais d’une hotline. Enfant slick et illégitime de Serge Gainsbourg et d’une anguille, il prodigue des conseils absurdes, défit les lois de la narration en apparaissant à côté du téléphone et ses déplacements sont des danses scandées par des nymphettes (à la séance de questions qui suivait le film, un spectateur probablement stone a cru voir les chorégraphies du vidéo de Fatboy Slim avec Christopher Walken)
Si on se fie aux commentaires et aux réactions du public, ce sont les segments avec Besson, survoltés et beaucoup trop courts, qui sont les grands moments du film.
Pour ma part, c’est le troisième segment qui est le plus important, autant au niveau formel, narratif que référentiel.
Tamon tombe follement amoureux de Yuri. Au beau milieu de cette grande histoire, Yuri est mystérieusement kidnappée. Tamon la cherchera littéralement à travers le temps et l’espace, dans des anachroniques repères de yakuzas et des bordels, le temps de devenir un cowboy, un ronin…Bref, un archétype total du guerrier solitaire et torturé cherchant sa belle. Dans ce segment hautement inspiré, si les genres et les ingrédients se voisinent furieusement, le sukiyaki final est bourratif sans devenir indigeste. Il faut voir l’interminable scène de combat au ralenti, grappillant autant le Nô, le Kabuki que les illustrations japonaises traditionnelles.
Une partie de ce segment est d’ailleurs ouvertement un des plus touchants hommages à Zatoichi jamais réalisé (croyez moi, je suis un fan morbide)
Milocrorze est déjà comparé à de nombreux films: Funky Forest, Survive Style 5, Symbol, Kamikaze girls. Les explorations formelles et narratives les plus poussées de Miike viennent aussi à l’esprit (les inconditionnels de IZO y trouveront leur compte). Le film méritent toutes ces comparaisons à mon humble avis. C’est l’ovnippon (ouch!) habituel qui est la marotte des Fantasiens.
Cela dit, l’histoire d’amour ne s’arrête pas là. Une scène du film déclare ouvertement les influences d’Ishibashi en la présence de Seijun Suzuki jouant un vieux maître tatoueur complètement sénile.
Milocrorze est une immense déclaration d’affection offerte humblement au vieux maitre, précurseur de toute une génération. Il n’est pas qu’une banale tentative d’émulation, mais une véritable volonté de faire perdurer la voix de Suzuki, de rappeler à la génération de réalisateurs japonais actuelle qu’il fut un des premiers à triturer joyeusement la forme de cette manière.
Ce qui n’empêche pas Milocrorze d’être sa propre bête, hybride, amphibienne et coassant le bonheur de faire du cinéma.
-FRANCIS OUELLETTE