Fantasia 2011, Jour 8: Critique de YOU ARE HERE. Espaces canadiens intérieurs à repeindre

Il est facile de se perdre à Fantasia. La quantité de films, les heures de projections, les salles, la planification de sa journée, de son sommeil et de ses repas. Les jours qui se passent  entre le noir et la lumière, le froid et la canicule, la violence gratuite et l’introspection. On fini par s’y perdre un peu, étourdie entre la surcharge d’idée et la redéfinition même de notre espace physique.  En REM toute la journée, des semaines à rêver.On catégorise ce qu’on a vu, on répertorie, quantifie et soupèse. La réceptivité de nos sens est poussé dans des retranchements…labyrinthiques. 

YOU ARE HERE n’est pas seulement une évocation de cet état de désorientation avec lequel le public Fantasien est assez familier. YOU ARE HERE est une expérimentation. Votre cerveau est la souris. Attention-STOP. Je ne dis pas que le film est expérimental; c’est littéralement une expérience, un mécanisme méta fictionnel et fractal aux contours escheriens. Vous allez obligatoirement vous y perdre; la carte de ce territoire cinématographique est tracée sur un miroir craqué que vous devez regarder avec une loupe et une bougie. C’est aussi, fort probablement, le film le plus élusif et unique présenté à Fantasia cette année. Bien sur, il conviendra probablement plus aux gens affamés par des questions qui en apportent deux autres, aux passionnés de puzzle, de labyrinthes, d’énigmes et de maladies mentales. Les autres auront droit à un mindfuck d’une qualité indéniable. Je sais pour ma part que c’est la grande découverte du Festival pour au moins trois personnes: le programmeur Simon Laperrière, moi et l’autre.
Un résumé est forcément inutile mais l’exercice est néanmoins irrésistible. Une porte donnant sur le vide à un étage inaccessible d’une gratte-ciel. Des expériences sur le cerveau se passant dans  une pièce vide. Une archiviste accumulant des documents audiovisuels apparaissant sur son chemin. Une prothèse oculaire qui change le monde. Un conférencier qui vous met en garde de suivre le point rouge de son laser. Tous ces éléments sont reliés  par d’infimes détails dans un réseau de filaments narratifs aux tensions variables. 
Vous êtes directement responsable de votre itinéraire. Si jamais vous vous sentez perdu, ne perdez pas de vue que vous êtes ici.

 Amalgame physique (et mental) de Cronenberg, Egoyan et André Sauvé, le réalisateur Daniel Cockburn investi sa métafiction d’un généreuse dose d’angoisses et de névroses. De sa propre déclaration, son film est une exploration sinueuse d’une crise existentielle et matérialiste où il a jadis failli se perdre par excès de causalités. 

À  mon sens, il y a quelque chose de typiquement canadien dans le film de Cockburn, des angoisses typiquement locales, situées entre les contraintes budgétaires, la crise identitaire et un obsession nationale voilée gravitant autour de la notion d’espace (Du Spider de Cronenberg jusqu’aux films de Vicenzo Natali…le Canada fait les meilleurs huis-clos en plein air. La perte, l’oblitération, la contraction et la dilatation de l’espace; un thème omniprésent dans la cinématographie canadienne (vous pouvez écouter notre émission sur le sujet ici même pour en avoir le cœur net). On y trouve forcément aussi une mélancolie urbaine délicieusement torontoise. Cockburn deviendra assurément une réalisateur canadien à suivre là où il voudra bien se rendre

Je terminerais sur cette blague, au mécanisme typiquement canadien; C’est une fois l’espace, le temps et l’esprit qui rentre dans un bord. L’esprit se tasse. Le temps passe de l’autre bord et rentre dans l’espace. Si vous riez, c’est que VOUS ÊTES ICI et ce film est décidément dessiné pour vous. 
Un gros merci à Simon Laperrière: ces obsessions personnelles sont responsable de l’apparition de ce film au Festival.
FRANCIS OUELLETTE

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *