Allons à la pêche aux syllogismes ensemble vous le voulez bien? Je lance une longue introduction pour saisir un petit film qui en vaut la peine.
Si vous êtes des réguliers à Fantasia, Il y a des fortes chances que vous soyez des amateurs de cinéma asiatique (duuuh!)
Si c’est le cas, vous aurez assurément remarqué dans vos pérégrinations cinématographiques que l’Orient entretient un rapport avec l’eau qui n’a absolument rien à voir avec les occidentaux, les coréens et les japonais, en particuliers. Les bienfaits de l’animisme, vous voyez? Depuis Kurosawa qui mélangea de l’encre aux gouttes de pluie de sa tempête dans Rashomon, l’eau est devenue noire et lourde, oppressante. Elle a beau être une nourricière, elle est également une inquiétante présence qui s’infiltre partout. Il n’est pas seulement question de désastre naturel. L’eau est le voile d’un autre monde; elle transporte les souffrances et les retient. Les films d’horreur japonais, avec leurs esprits enfants noyés. Les coréens, avec leurs quais qui surplombent l’abysse, leurs scènes de baptême sacrificiel et de suicide à l’hameçon.
Si l’eau est à la fois nourricière et traversée de la souffrance des hommes, on conviendra que l’activité toute simple de la pêche prend forcément une charge symbolique considérable.
À Fantasia cette année: Underwater Love, son usine de poisson et son diablotin de l’eau. Vampire de Shunji Iwai, avec ses scènes de pêche et de gens qui veulent se suicider dans le fleuve. Cold Fish et ses poissons tropicaux. 13 assassins et ses métaphores de pèches appliquées au combat. Pour ne nommer que ceux là…Je ne vous dis pas l’idée de génie de la part des programmeurs du festival de passer Night Fishing avant Cold fish de Sion Sono.
Night fishing de Chan-wook Park est le point culminant de toutes ces thématiques. Tout le monde va à la pêche, le réalisateur également.
Pour la forme, c’est une histoire de 30 minutes filmée avec un I-Phone, un outillage léger pour une séance rapide.
Pour le fond, c’est une tragédie en trois actes:
Au cœur d’une route qui nous mènera vers l’histoire, un groupe de musiciens interprète une chanson (absolument inoubliable; vous pouvez l’écouter ici en bas de page). Mélangeant les sonorités modernes et ancestrales, habillés de costumes trois pièces et d’un chapeau traditionnel, ils sont le chœur de la tragédie, les avatars des Destinées, les échos du passé. Ils nous parlent d’un pêcheur solitaire…
Notre pêcheur se fait une séance nocturne. Il attrape quelque chose d’imprévu; le corps d’une femme. Dans son agitation, il se prendra dans les nombreux fils de ses lignes et le corps de la défunte se retrouvera blotti contre lui. Cette funeste étreinte redonne vie à la femme . Cette femme, il ne l’a pas pêché dans l’eau mais dans le monde des morts. Elle sait par ailleurs beaucoup de chose sur lui.
Acte final: le spectateur sera invité à visiter l’autre monde.
Night fishing aurait pu devenir rapidement une simple expérimentation stylistique, un caprice d’auteur sans intérêt. Loin de ça. C’est l’urgence de raconter une histoire qui prévaut ici. L’utilisation du I-Phone et de ses moyens techniques limités n’est pas une contrainte mais un outil de circonstance dans les mains du conteur. Ce n’est pas qu’une leçon de cinéma que nous fournie Chan-wook Park, c’est littéralement une invitation à la création.
Les explorations thématiques du cinéastes sont toutes là: la mort, la perte de repère, l’humour morbide et les excès mélodramatiques déchirants dont les coréens semblent avoir le secret. Au niveau stylistique, son talent pour la confection de tableaux demeure intact. Après le baptême sacrificiel de Sympathy for Mister Vengeance et le martelage homérique de couloir dans Old boy, Night Fishing nous offre quelques plans tout aussi iconiques (la première photo de ce billet en haut est un bon exemple).
Je me permet aussi une conclusion péremptoire. Nigh fishing est une synthèse des nombreuses obsessions qui traversent la cinématographie coréenne depuis la dernière décennie ( Ki-duk Kim au grand complet). La pêche n’y est pas qu’un symbole récurent, c’est une méthode.
J’aime le concept: les cinéastes coréens qui sont des pêcheurs de l’idée. Au final, si Chan-wook Park s’est permis une légère et courte séance avec un matériel léger, ça ne change rien aux profondeurs où il est parvenu à lancer sa ligne…et ce qu’il est parvenu à en extirper.
-Francis Ouellette