Voici un article qui provient de
Francis Ouellette, coanimateur au
7ième Antiquaire sur
CHOQ.FM.
Philip Ridley est de retour, presque 15 ans après The Passion of Darkly Noon.
Qui ça?
Ne vous inquiétez pas si vous ne connaissez pas le bonhomme. Même les cinéphiles les plus aguerris n’ont souvent pas vu ses films. En tant que réalisateur, il n’a que trois métrages à son actif et son premier, hautement culte, The Reflecting Skin, est un grand introuvable. Vous allez devoir trimer pour mettre la main dessus (le Torrent sera une option nécessaire) mais la recherche vaudra le coup. C’est un film maudit au plus pur sens du terme et le meilleur rôle de Viggo Mortensen à vie, sans aucun doute.
Par contre, Philip Ridley est constamment présent dans une quantité de domaines artistiques: il a écrit plusieurs livres pour enfants, est dramaturge et metteur en scène de théâtre, il est peintre et parolier. Il connaît d’ailleurs une certaine notoriété dans tous ces domaines.
Ça vous fait penser à quelqu’un?
Un artiste multidisciplinaire, british, qui fait vagement dans l’horreur, le sexe trouble, qui a réalisé du cinéma en dilettante et qui a trois films à son actif?
Clive Barker hein? Effectivement, les ressemblances entre les deux sont troublantes. Malgré la quantité de prix gagnés par Ridley pour ses films précédents, il ne s’est jamais défini comme un réalisateur de cinéma. À l’instar de Barker, la cohérence de son univers est balzacienne et inextricablement reliée à toutes ses autres créations. En fait, je dirais qu’il en est de même chez Ridley et Barker; ce sont d’abord et avant tout des conteurs. Leur espace narratif est celui de la fable et le gore se retrouve souvent conjugué au mélodrame (comme dans tous le bons contes).
Son dernier film, Heartless, confirme d’emblée sa filiation avec Barker. Les thèmes, l’esthétique sont résolument similaires. C’est un mélodrame d’horreur, un conte doublé d’un drame social urbain typiquement british. Un très efficace, par ailleurs. L’univers sonore du film s’en charge diablement bien.
Voyons voir… Un jeune homme, un petit chaperon noir, un vilain petit canard, habite un royaume désenchanté avec sa mère et ses deux petits cochons de frères dans une grande maison de brique nommé les habitations Cendrillon. Il porte littéralement son coeur sur son visage. C’est un valet de coeur, un Jack of Hearts, un Jack of all Trades.
Dans le village, pas très loin de la rue Perrault, des créatures rodent, brûlant des gens à coups de cocktail Molotov. Ce sont les émissaires de Papa B, admirable figure faustienne sortie directement des romans de Barker. Papa B, c’est évidemment Belzébuth, mais c’est aussi Papa Bear, le Big Bad Wolf, c’est la Bête, celle de tous les contes, de la Bible jusqu’à la Belle et la bête. Son nom au consonances vaudouiques suggère qu’il est un Loa, quelque part entre Papa Guede et Baron Samedi. Il est d’ailleurs accompagné d’une petite princesse indienne scintillante nommée Belle. Papa B peut arracher le coeur qui couvre le visage du chaperon s’il accepte de lui en apporter un autre sur les coups de minuit. Un coeur pour un coeur… Le vilain petit canard pourra ainsi enfin se faire remarquer de la jolie princesse blonde, Tia.
Ou alors, il n’y a pas de démons, pas de princesses, pas de royaume. Nous sommes en Angleterre, les rues sont arpentées par des gangs, les princesses sont des putes, le démon est un pimp et le petit chaperon est schizophrène. C’est à vous de voir.
Souvent chez les britishs, Neil Gaiman et Alan Moore en tête, cette prédilection pour le monde parallèle de la fantaisie, du fantasme qui envahi subtilement le nôtre est virtuellement indissociable du thème de la maladie mentale. Alice aux pays des merveilles…redux. Plus que jamais, Ridley rejoint Barker et les conteurs britishs dans leur obsessions. On pense évidemment à Jacob’s ladder, avec lequel le film partage certains thèmes et imageries. Une faune assez lynchéenne traverse également l’ensemble.
Depuis sa sortie, le film accumule les détracteurs à un rythme alarmant. Les maniaques d’horreur restent sur leur faim et sont repoussés par ses inflexions mélodramatiques. Il ne mérite pourtant pas cette réaction. Ne perdons pas de vue que si Heartless ne réinvente rien, il n’est pas pour autant du remâchage. La sincérité de son propos et son ambiance mélancolique permettent de véritables moments d’émotion et d’angoisse. Philip Ridley n’est peut-être pas un réalisateur visionnaire…mais c’est définitivement un grand conteur.