Le 7ème est un maniaque des kaiju eiga, les films de monstres géants japonais. Question de remettre les pendules à l’heure sur un genre trop souvent décrié par une certaine intelligentsia bourrée de préjugés qui n’en a probablement pas vu un seul, nous avions fait jadis une émission — que dis-je? — deux émissions sur le sujet; Ishiro Honda, le créateur du genre, et sa célèbre progéniture, Godzilla. Pour l’occasion, nous avons même chanté un blues d’Alan Moore sur le grand saurien, Tramplin’ Tokyo. A Capela. Oui madame. (vous pouvez les écouter les émissions en cliquant respectivement ici et ici).
Nous attendions évidemment Big Man Japan avec impatience. Son absence au festival Fantasia nous a semblé de mauvais augure. Puis, le film est sorti, dans une relative indifférence. Quelques critiques timides, d’autre hautaines. Et hop…un petit DVD discret débarque sur les étalages. L’engouement général pour l’ovni nippon, si engouement il y avait, s’est rapidement estompé.
C’est donc plus ou moins appréhensif que je regardai le film hier.
Flabbergasté. Rien de moins. Ce n’était assurément pas le film attendu.
Si Ozu avait fait son kaiju eiga, Big man Japan aurait été le résultat. Ce n’est rien de moins que le Tokyo Story des films de monstres géants. Mais non, je ne blague même pas. Pour la petite histoire: Masaru Dasaito est le dernier d’une longue lignée de défenseurs du Japon. Quand des monstres veulent détruire Tokyo, c’est lui qu’on appelle. On l’envoie dans une centrale énergétique expérimentale où on le gonfle et le transforme en géant. C’est un héros. Tout le monde s’en contrefout. C’est un fonctionnaire. C’est une blague. On le déteste, on le trouve plus nuisible que vraiment héroïque. Un genre de Hancock géant et obèse en caleçon.
Entre une beuverie de karaoké et une transmutation, des documentaristes suivent son quotidien banal, ses relations ruinées. Tout ça ponctué de combats avec des kaijus plus nuisibles que dangereux et particulièrement étranges (l’un d’entre eux est un gros pied surmonté de la tête du comédien Riki Takeuchi, un habitué de Takashi Miike).
Ce qui fait le charme de Big man Japan, c’est la mélancolie qui accompagne le propos déconstructiviste du récit. En 1977, Robert Mayer, un romancier inconnu, écrivait un chef d’oeuvre de pathos suivant un super héros bedonnant, banlieusard, à la retraite, intitulé Superfolks. Loin de se douter que tous les grands du comic suivraient cette approche, d’Alan Moore à Grant Morisson, Mayer fut un des premiers à effleurer le thème avec le brio nécessaire pour convier autour des ces archétypes des petites tragédies de l’ennui. The Incredibles, The Sentry, Dark Knight Returns… avant, il y a eu Superfolks. C’est précisément l’approche de Mayer qui est préconisée par Hitoshi Matsumoto, le réalisateur du film.
Il est tentant de comparer le film à Watchmen. L’approche est similaire. À l’idéalisme patriotique des années 60, on oppose l’indifférence cynique de notre époque. Au Japon comme partout ailleurs, le super héros n’inspire plus confiance. On ne le craint même pas. Les combats de Big man Japan bloquent les rues quelques minutes, coûtent des millions en dommages… et il doit faire des pieds et des mains pour que tout le monde puisse voir les publicités qui ornent son torse, question de payer pour tout ça. Son rituel de transformation sacré, jadis crucial, est désormais considéré long et fastidieux, vidé de son essence (l’allusion au Sumo est évidente).
C’est le crépuscule des idoles façon niponne, la déconstruction d’un genre, la perte des idéologies, des repères et des traditions. Les héros du passé, déphasés moralement, n’ont plus leur place dans un monde qui est, tout compte fait, assez indifférent à sa propre survie. C’est aussi probablement un e réflexion sur le cinéma japonais, qui doit se faire plus violent, plus bruyant chaque jour (symbolisé par les étranges kaijus) pour garder l’intérêt de son jeune public. Mais par dessus tout, c’est un film sur la perte de la mémoire, personnelle et collective.
-FRANCIS OUELLETTE