Pour ma part, The woman restera l’expérience la plus viscérale de l’édition Fantasia 2011. Il n’est absolument pas le film le plus violent, le plus maitrisé ou le plus excessif du festival; il est gavé d’un musique irritante que Mckee utilise à des fins d’ironie dramatique maladroites et le jeu des comédiens va de l’exceptionnel au consternant de nullité (l’enseignante en géométrie fait pitié à voir) Mais pour le moins que le spectateur accepte l’offrande sensorielle sans la filtrer, il la vivra au fin fond de ses tripes (j’ai eu personnellement quelques éprouvantes réminiscences de Martyrs et Devil’s reject.)
The woman est une cinquième adaptation d’un roman de Jack Ketchum. Il est aussi la suite directe d’un autre roman, The Offspring, lui aussi adapté (pitoyablement) au cinéma par Andrew van den Houten (producteur de cette suite).
The woman reprend où The Offspring se termine. C’est une suite sans en être une: pensez aux liens entre les deux films de Rob Zombie, House of thousand corpses et Devil’s reject et vous n’êtes pas loin.
Ou alors à une version horriblement perverse de Nell .
On retrouve le personnage de La Femme, créature sauvage, dangereuse et blessée. Coup de génie: la Femme est Interprétée par la même comédienne, la sculpturale Pollyanna Mcintosh, seul point fort de The Offspring.
La Femme croisera le chemin de Christopher Cleek, avocat et père de famille, chasseur et éleveur de chiens . Pour protéger son clan, il capturera la femme, le séquestrera avec la ferme intention de la civiliser de force. Elle sera désormais leur animal de compagnie; il faudra la nettoyer et la nourrir. En bon patriarche autoritaire, il organisera une série de tâches bien précises pour toute la famille. Leur vie avec le Femme vient de commencer.
Cette banale prémisse aurait pu basculer à tout moment dans la torture porn. Il n’en rien. Dans ses romans, Ketchum fait l’exploration du mal et de la cruauté ordinaire des hommes poussés à un certain paroxysme. En ce bas-monde, la question du mal n’a nul besoin d’être supportée par la métaphysique. Elle est une affaire d’homme, pur et simple.
Si la Femme est une créature hautement dangereuse, le clan Cleek, avec son patriarche convaincu de sa propre vertu, est une menace autrement plus insidieuse.
L’homme « civilisé » , flanqué de son clan, conditionne la femme sauvage. The women devient alors une méditation parfois drolatique sur le mal primitif et la déviance du civilisé, sur les femmes victimes et les hommes abusifs.
Les face à faces entre La femme et le Père constituent la moelle épinière du film. Pollyana Macintosh est glorieuse dans le rôle de La Femme; elle râle, crache, hurle, halète comme une ménagerie. Son regard fauve et chargé d’appétit est saisissant. Sean Bridgers (le tête à claque Johny Burns dans Deadwood, on l’a vu aussi dans…Nell!), qui peut passer de l’affabilité à l’autorité entre deux lignes, est tour à tour drôle et terrifiant. Il donne des ordres sans vociférer et parle comme si ses propos et ses actions tenaient de la logique la plus élémentaire. Angela Bettis, l’actrice fétiche de McKee, semble sur le point de se casser comme une poupée de verre à chaque parole de son mari. Elle campe son évidente névrose avec le talent qu’on lui connait.
The Woman fait aussi souvent mouche avec des moments d’absurdité et d’humour que l’on doit au départ à Ketchum: Le fils psychopathe fasciné par le basketball, le petite fille adorable épargnée par l’horreur de sa famille, le mélange de compassion et de cruauté que prodiguent les Cleek à la Femme. Même les scènes les plus violentes oscillent constamment entre le grand- guignolesque et le réalisme cru.
Mckee ne fait pas que rendre justice au thèmes et aux dialogues de Ketchum. Il se les approprie. Si on exclue l’omniprésence irritante des chansons pops, c’est d’abord au niveau du travail sonore qu’il surprend. Des aboiements constants, les grincements du système de poulies retenant la Femme attachée, des borborygmes, des sons de déglutitions, des bourdonnements, des sifflements stridents.
Le montage aussi, qui se permet souvent des sursauts, des hoquets, des ellipses improbables. Le spectateur est conservé dans un état de tension constante. McKee vise la chair: il veut se glisser en dessous de votre peau et pince vos nerfs.
C’est assurément pour cette raison que le film suscite une telle réaction chez certain spectateurs. Ils ont l’impression de se sentir abusée, manipulés . Personne n’est fondamentalement bon dans The Woman et si c’est le cas, ils seront invariablement des victimes. Ce ne sera pas la première fois que des propos de ce genre fait grincer des dents des humanistes, irrités de se faire donner la leçon sur l’indicible cruauté des hommes
En ce sens, McKee devrait être fier. Rien comme une controverse pour mousser la popularité d’un film. Oui, son film est intense. Oui, il est parfois troublant. Mais il ne joue pas dans le registre de la simple provocation. N’exagérons rien. The Woman est tout simplement une fable sur le bourreau et la victime… et dans toutes bonnes fables, les leçons sont administrées avec le double tranchant de l’humour et de l’ horreur.
Je ne sais pas s’il est juste de dire que McKee est de retour. Disons qu’après The Woman, on espère qu’il est là pour rester.
-FRANCIS OUELLETTE
-FRANCIS OUELLETTE