Les héros sont tragiques. Le méchants sont d’une cruauté inouïe. Les femmes sont laissés derrière. Les combats sont d’une violence démesurée mais ils sont aussi traversés de poésie. La même recette, deux sauces: de l’aigre-douce dans ton coeur VS du Wasabi dans ton âme.
Pour tous ses accomplissements, il manquait à Yuen Woo-Ping son film-somme, un long métrage poussant au paroxysme toutes ses obsession stylistiques, thématiques et même spirituelles. True legend est précisément ça. Il remonte aux sources des mythes fondateurs sans aucun soucis de crédibilité ou de cohésion narratives. Les scènes de combats parlent d’elles mêmes. Elles sont nombreuses, bruyantes, improbables et elles cognent dure, très dure. Ce sont des surhommes qui se battent ici, des super héros chinois capables de défier les lois de la physique et de faire du breakdance de combat.
Le film nous raconte l’histoire de Beggar So, héros de guerre tragique qui sera happé par la folie et le démon de la bouteille. Créateur du drunken fist, cette forme de combat où les mouvements émulent l’état d’ébriété, on verra ce personnage au cinéma des dizaines de fois, particulièrement dans des comédies. Le véritable créateur du drunken fist, bien qu’il soit une forme de combat existante, est nul autre que Woo-Ping. Il est directement responsable des plus belles séquences de combat en état d’ébriété. True legend nous fourni enfin l’origine « complète » de ce touchant personnage, joué à plusieurs reprises par le maitre lui même.
Dès les premières minutes du film, on se croirait dans une adaptation de bédé américaine. Le film fonctionne est sensiblement une version asiatique de Thor: Beggar Su semble provenir d’un Valhalla chinois traversé de combat exagérément épique et à la limite du surnaturel, où il est le fils favoris. Dans ce rôle ,Man Cheuk Chiu donne la meilleur performance de sa carrière depuis The Blade.
Dans True Legend, les hommes côtoient les dieux pour apprendre les secrets du combat. Le légendaire Gordon Liu reprend le rôle classique du vieux sage aux longs sourcils Pai mei et Jay Chou, le Kato de Green Hornet, est le dieu du WuShu. Le frère de Beggar su est le perfide Yuan Li, sorte de nécromancien possédant les secrets des styles de combat « venimeux ». Superbe vilain gavé jusqu’à la moelle de clichés, il porte des costumes mauves (comme tous bon vilains de comic-book), il a la peau livide et elle est greffée d’une armure.
Yuan Li est ostensiblement le Loki de cet univers: jaloux de son frère et cherchant à se venger de son père adoptif, l’assassin de son vrai père. Dans sa folie meurtrière, il possède quand même un sens tordu de la filiation, comme les meilleurs méchants du genre. Les ressemblances entre Thor et True Legend ne s’arrêtent pas là. Les deux films oscillent entre la fantaisie de comic book et la tragédie Shakespearienne: le jeu ampoulé des acteurs et leur prononciation modulée du mandarin s’en chargent. Les mythes scandinaves et chinois font assez bon ménage. Le film finlandais Jade Warrior présenté à Fantasia voilà trois ans avait tenté un mariage de fortune en transposant le mythe de la Kalevala dans un wuxia pian classique…et ça fonctionnait.
Mais ça ne s’arrête pas là.
Faisant preuve d’une audace peu commune dans le genre, Yuen Woo-ping ne nous permet pas de déterminer si l’histoire se passe à une multitude de niveaux dans la psyché d’alcoolique du personnage (il faut voir ses combats avec le dieu du Wushu sur les flancs d’une statue!) ou s’il est tombé d’un monde parallèle (à la manière de Thor, justement). Un inexplicable jump-cut de plusieurs décennies ajoute à la confusion, pour notre plus grand plaisir. Cepedant indice demeure: le plus grand combat que mène Beggar Su est contre lui même. Les art martiaux, plus que jamais chez le vieux maitre, sont des danses illustrant le combat intérieur.
TRUE LEGEND est parfois larmoyant, déchirant et particulièrement loquace dans la démonstration des prouesses physiques …et c’est parfait ainsi. Tout est dit dans l’oxymore du titre .
13 assassins maintenant.
Enfin.
Enfin, un véritable chambara pour Takashi Miike. Un Miike tout en retenu (!) qui ne perd rien de la cruauté et l’humour qui font sa signature.
Enfin. Un chambara qui se permet d’être presque chinois dans son verbiage martial.
Enfin, un film de guerre asiatique qui m’a autant satisfait dans sa sauvagerie que Bang Rajan.
Enfin, le jidaigeki que les maniaques attendaient depuis des lustres.
Jouons avec les chiffre: Il a beau être un remake du film Eiichi Kudo de 63 portant le même titre, 13 assassins est le versant sombre de 7 samourais et le frère d’arme de 47 ronins, auxquels il fait par ailleurs souvent référence. Même les chiffres des titres se miroitent; le lucky seven et les héros humanistes de Kurosawa en opposition au 13 de malheur des kamikazes assoiffés de justice de Miike. 13 assassins offre une variante du grand classique de Kurosawa en capitalisant volontiers sur des scènes de combat à l’énergie bien contemporaine. Il en devient en quelque sorte l’inversion. Mais il est aussi une relecture de 300 à la manière nipponne. Faites le calcul: 47 X 7 -13= presque 300. ha HA!
N’ayez crainte: ça fonctionne à merveille. Miike s’était déjà prêté à l’exercice, (de manière beaucoup plus expérimentale), en faisant IZO, une suite informelle et Jodorowskienne du classique d’Hideo Gosha TENSHU (cliquer ici pour écouter notre émission sur à ce sujet)
Si 7 samourais se passait à l’apogée d’une période de guerre, 13 assassins se déroule à la toute fin de leur règne, en temps de paix. Les 7 samouraïs protègent un village d’une attaque de brigands. Les 13 assassins doivent débarrasser le japon de son plus dangereux tyran.
Dans le rôle du leader du groupe, Koji Yakusho, en voie de devenir le comédien japonais le plus important de sa génération, continue de devenir l’héritier spirituel de Takashi Shimura (faut le voir lui rendre hommage dans le magnifique Dora heita). S’il est le même personnage, il est cependant une sombre inquiétante de Shimada, satisfait de pouvoir enfin mourir au combat.
La réponse à Kyuzo, le bretteur virtuose au visage stoïque est Hirayama Kujūro. Deux personnages inoubliables interprétés par deux comédiens (et escrimeur) de grand talent, tout en finesse, en élégance et en furie guerrière.
Dans le rôle du rônin joueur et désabusé, le surprenant Takayuki yamada (qui jouait les trois personnages principaux de Milocrorze: a love story) devient la conscience du groupe.
On a aussi droit au jeune guerrier voulant se tester au combat, au samouraï bedonnant et jovial et à l’assistant général qui reprend du service.
Il fallait forcément que le personnage de Kikuchiyo, le fermier courageux et opiniâtre avec une très grosse épée (et comedy relief), campé avec brio par Toshiro Mifune, ait un remplacement à sa mesure.
C’est chose faite avec Kiha Koyata, interprété par Yūsuke Iseya.
Personnage typiquement Miikéen, Kiha est à la fois un comedy relief et le personnage insaisissable. Hommage évident à l’animalité de Mifune dans le film de Kurosawa, Kiha n’est pas un samouraï; c’est un homme des bois, un chasseur habile qui a lui aussi un tempérament opiniâtre et une…très grosse épée. Il y a fort à parier que Kiha ne soit pas un être humain: pour ma part, je me plais à croire qu’il est un Tanuki, un esprit animal de la forêt qui a pris forme humaine (les ratons laveurs avec des grosses bittes dans le Pompoko de Miyazaki, pour les non-initiés)
Miike est passé maitre dans l’art d’inventer des personnages qui sont des experts de la cruauté. Il a probablement inventé son plus beau monstre en la personne du sadique souverain Matsudaira Naritsugu . Un enfant de pute comme on en fait plus. Si le vilain de True Legend est admirablement suranné, celui de 13 assassins à des psychopathologies Ô combien modernes.
Déviant et obsédé par la mort, le souverain n’a pas son pareil pour infliger la souffrance. Il est sans aucune morale, complètement insensible et il est au centre des scènes les plus Miikéennes du film (une d’elle est particulièrement éprouvante et inoubliable). Vous allez vraiment vouloir voir le salopard souffrir.
Presque parfait dans son exécution, 13 assassins culmine sur une scène de combat final exemplaire en tout point. Longue de presque 30 minutes, elle aurait fait bander Sun Tzu comme un cheval. Dans un village transformé en machine de guerre, nos treize assassins deviennent des vikings doublés des salopards de Western spaghettis. C’est la fin de Sword of doom d’Okamoto multiplié par 20.
Miike continue de prouver qu’il est une magnifique tache de sang et de merde en forme de papillon sur la face du soleil levant. Il nous enfin donné le chambara qu’on attendait de lui.
-FRANCIS OUELLETTE